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Confidences d'une mère à sa fille

Le vendredi 13 Mars 2020, j’ai eu l’immense joie de recevoir le tout premier prix du concours d’écriture organisé par ENABEL GUINEE, à l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, et dont le thème était : Génération égalité, levez-vous pour les droits des femmes.

Veuillez trouver, ci-dessous, le texte qui m’a valu tout cet honneur.

« Ma fille, viens là que je te parle, j’ai tant de choses à te raconter sans savoir par où commencer, des anecdotes qui te donneront le sourire et, parfois qui te feront pleurer. J’ai longtemps prié et attendu ton arrivée, j’avais besoin d’une confidente, une qui m’écouterait sans me juger, qui rira de mes blagues sans méchanceté et me donnera un câlin pour me soulager de mes peines sans me narguer.

Ma vie n’a pas toujours été facile et, le silence a toujours été l’option possible pour la quiétude de tous, parce que, dans notre société une femme n’épanche pas ses problèmes et difficultés, elle n’en a pas le droit, on la regardera vite d’un mauvais œil en la traitant de femme indigne. Aujourd’hui j’ai choisi de te parler parce qu’une mère n’est pas censée avoir meilleure alliée que sa fille et toi, je voudrais que de mes forces, tu tires les tiennes et de mes erreurs, tu bénéficies des leçons.

C’est bon d’avoir une oreille attentive quand on a l’impressions d’être au fond du gouffre mais, faudrait que cette oreille ne soit pas celle qui nous juge. Je ne veux pas me l’avouer mais, tu veux que je te dise ? Ma pire erreur fût de croire que j’avais le droit d’être moi-même au sein d’une société sexiste et conditionnée pour étouffer les ambitions des femmes.

Dans notre société, quand tu es une femme, pour assumer ta personnalité, tes choix, tes principes et convictions, tu as deux options obligatoires :

Être une femme, qui, selon les standards imposés aux femmes, se soumet aux poids des coutumes, mœurs et religions. Et quand je parle de cette femme modèle selon eux, entends par là une femme obéissante aux hommes, respectueuse, qui investit toute sa vie et sa personne dans l’application de la stricte volonté des uns et des autres. Cette femme-là ne part pas à l’école, non, elle est trop occupée à prendre soin de sa famille et à accomplir ses activités ménagères.

Si, par chance, elle part à l’école c’est pour passer une moitié de son temps à réfléchir sur comment effectuer telles ou telles tâches après les cours, à calculer et planifier son temps libre et les divers devoirs que les autres attendent d’elle. Pas le temps d’apprendre, de lire ou de chercher à comprendre, sa préoccupation n’est jamais comment réussir un examen, le destin s’en chargera, mais plutôt comment réussir à joindre les deux bouts entre famille, ménages, poids social et obligations mondaines.

L’autre moitié de son temps est, quant à lui, consacrée à lutter et refouler les attaques, compliments voilés et harcèlement qu’elle subit de la part des hommes. C’est à l’école, sur la route, dans un restaurant, au coin de la rue, chez le maître coranique, à l’hôpital, c’est partout où elle croise le regard insistant, intimidant et déplaisant d’un homme qui la dévisage comme une viande face aux loups.

Cette femme-là ne vit pas, elle survit. Elle essaye tant bien que mal de joindre les deux bouts, elle verra son enfance bafouée devant ses frères qui, contrairement à elle, se voient favorisés par la société qui estime qu’ils sont l’avenir, l’autorité et la sagesse de demain. Pendant qu’elle fera le linge de toute la famille, un dimanche matin, eux seront au lit profitant d’une bonne grâce matinée. Pendant qu’ils prendront leurs petits déjeuner à midi, elle sera à la cuisine pour préparer leurs déjeuner. Quoi de plus normal ? Après tout, ils ne sont pas pareils, eux sont des hommes et elle une femme.

Elle verra son adolescence traumatisée par une peur profonde de l’homme, parce que, très tôt on l’a appris que c’est à elle de se protéger des harcèlements et viols, elle n’a pas le droit de porter des pantalons ou jupes, la religion l’interdit, elle n’a pas le droit d’attirer un regard aguicheur de par son accoutrement, regard qu’elle attirera même habillée d’une burqa islamique, parce que, c’est une femme et les hommes on leur a appris très tôt que le mâle est dominant et que toute femelle peut répondre à leurs libidos, peu importe son âge, son habillement, sa volonté, un peu comme dans la jungle où le roi dévore ses proies selon sa convenance.

L’intimidation ne vient pas que des hommes, elle vient aussi de ses parents et de sa famille qui, très tôt, ont douté d’elle, ont estimé qu’elle pourrait devenir une fille de joie, qu’elle pourrait devenir obnubilée par le sexe, qu’elle n’est pas digne de confiance malgré son jeune âge, malgré qu’elle ne soit qu’une enfant, alors, ils décident de lui ôter la seule partie de son corps qui pourrait lui faire jouir de sa féminité, on l’excise tout simplement. Ils diront que c’est pour son bien, ce n’est pas si douloureux, ça n’a pas de conséquences et que même si ça en a ils le feront quand même, parce que, c’est la religion qui le demande.

Après l’avoir rendu rigide et amère, ils se féliciteront et se partageront des cadeaux pour louer l’exploit qu’ils ont réalisé. Les douleurs, physiques et psychologiques, qu’elle endure et qu’elle endurera toute sa vie, les séquelles et maladies auxquelles elle est exposée, restent et demeurent un non-événement, après tout, elle est une parmi tant d’autres.

Cette soi-disant femme modèle là, est endurante et dépressive la plupart du temps.  Elle peut subir un mariage précoce selon les souhaits et l’envie d’un prétendant qui a su convaincre sa famille. Elle peut subir un divorce orchestré par manque de respect de son mari et des siens où, elle se plie en deux pour satisfaire les moindres volontés de tous et chacun. Elle peut supporter un patron tyrannique au travail et des collègues sexistes et désagréables, que ça ne lui fera rien absolument, parce que, dès le bas âge elle a été conditionnée à subir, accepter et se taire. Elle est une femme modèle comme le voudrait la société et elle a pour obligation de prendre soin à ne pas heurter la sensibilité des uns et des autres.

L’autre option, obligatoire, pour l’épanouissement féminine serait de devenir une femme qui vit pour soi-même, qui s’assume avec ses choix, bons ou mauvais. Cette autre femme, par contre, n’est pas aimé des autres. Ils estiment qu’elle n’a pas sa place dans la société parce qu’elle parle trop, elle est féministe, parce qu’elle prône l’égalité des genres et défend les droits des femmes, ils disent qu’elle se prend pour un homme, une autre façon de la rabaisser bien-sûr, elle agit suivant sa propre volonté peu importe les avis des autres, elle brandit avec fierté sa volonté de réussir ses combats, elle dit à qui veut l’entendre qu’elle ne sera pas dépendante des autres, elle assume sa féminité et discute aisément de sexualité. Oui cette autre femme c’est tout ce que les hommes n’aiment pas, celle que la société combat.

Ma fille, ne croit pas que, parce que je parle à la troisième personne, ça veut dire que je ne suis pas concernée. Mes vécues me suivent comme mon ombre et même les yeux fermés, je pourrais revoir en images comment j’ai subi les injustices de la société, faisant de moi cette femme soumise qui se tait malgré elle. La douleur de voir comment je me sens inférieure à l’homme me ronge et me force à me rebeller.

Je pourrais bien crier mon amertume milles fois, ça ne changera en rien la colère qui me ronge de l’intérieur. J’ai longtemps imploré ma divinité pour obtenir une oreille attentive, j’ai attendu qu’un miracle se produise. Je me suis rendue compte que la société m’a conditionné de sorte à bloquer mon épanouissement, à m’empêcher d’avoir des rêves, de réaliser des exploits. Tout était contre moi et je me suis laissé faire.

Alors je t’ai eu et ma vie a changé. Tu es de loin la plus belle chose qui existera à jamais dans ma vie. C’est vrai qu’une mère porte toujours son enfant dans son cœur mais pour ma part, ton arrivé a servi de déclic pour me rappeler que désormais j’ai une responsabilité, celle de te protéger de moi, de mes vécues, des autres et de ce qu’ils voudront que tu sois, tout simplement, parce que tu es née femme. J’ai alors réalisé que, tu seras confronté aux mêmes abus que moi et que, les autres voudront te dicter ta vie.

Comment défendre une personne si on ne sait pas se défendre soi-même ? Comment apprendre à une personne à vivre pour elle-même si, soi-même, on vit pour les autres ? Comment apprendre à sa fille à se voir au même pied d’égalité que les garçons quand, chez soi on ne le traite pas de la même façon que ses frères ? Quand toutes les conditions sont réunies pour la rendre inférieure et dépendante des hommes ?

Comment apprendre à sa fille que la religion prône la justice et le respect des femmes quand, soi-même, on n’est pas instruit, et, à défaut de cela, on est obligé de passer par un maître qui se chargera de lui enseigner qu’elle est du sexe faible ? Comment veiller à ce que tu sois instruite, éduquée, épanouie et heureuse quand je laisse le soin aux autres de t’éduquer à ma place ?

Oui, maintenant, j’ai eu un éveil de conscience et mon silence n’a que trop duré, il n’est plus question que je laisse la société étouffer mes rêves, les tiennes et celles de toutes les autres femmes.

Il est temps de se battre pour se faire valoir et respecter, pour que tous sachent que la femme, aussi, possède des atouts considérables. Il n’est plus question qu’une fille soit excisée, ouvertement, au vu et au su de tout le monde, avec impunité. Qu’on sache que la sexualité n’est pas un tabou, et que, le viol est sujette à des poursuites judiciaires. C’est maintenant ou jamais que les femmes prendront la parole pour dénoncer les abus et défendre leurs droits.

Pour ma part, sache que, désormais, je lutterais contre le monde entier s’il le faut pour assumer mes choix et prôner mes valeurs. Notre épanouissement viendra de notre capacité à changer les choses et, pour faire valoir nos droits, protéger notre intégrité, se faire respecter et traiter au même titre que les hommes, j’en fais mon combat de toute une vie. Parce que je suis ta mère, parce que tu es une femme mais aussi et surtout parce que tu le mérites. »

Je tiens à remercier, particulièrement, ENABEL GUINEE, pour nous avoir donné, à nous les participantes, l’opportunité de nous exprimer sur ce combat qui nous tient à cœur.

Et, en espérant que, tout comme le jury qui m’a choisi, vous avez aimé parcourir ces lignes, je vous demande de vous abonner à mon blog pour ne rien rater de mes écrits et vous dis à bientôt.

Vous pouvez, également, retrouver ce billet ici.

Je vous remercie.

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demereafille

Commentaires

Angélique Soulard
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Chère Fatima et chère jolie bébé...
Tes mots sont vibrants... je mesure à quel point grandir sans (trop) de tabou m'a rendu la vie plus simple. Ta confession me fait remonter l'histoire de ma société où des femmes ont subi la discrimination. Elles luttaient pour moi, et parfois j'oublie!

Gratitude à toi, à mes ancêtres du siècle passé. Mais le combat n'est pas terminé, loin de là, même dans nos sociétés qui prétendent donner des leçons.

Merci.
Très belle journée à vous deux.